SUD OUEST / 13 janvier 2023
NICE TRIP
Danse à Bordeaux : on a vu « Nice Trip » à la Manufacture CDCN
« Nice Trip », suite augmentée de la pièce « Bâtards », créée et portée par Michel Schweizer et Mathieu Desseigne-Ravel, commence comme l’inauguration d’une friche culturelle et se termine comme un téléachat. Entre-temps, sur le plateau presque nu, on aura abordé d’autres univers – les économies du spectacle, de la sécurité et de l’humain – et quelques éléments de langage étrangement proches : ceux de l’action culturelle, du marketing commercial et du discours politique sécuritaire.
Parodie ? Même pas. Les mots sont authentiques et le ton à peine forcé, c’est juste leur mariage qui peut provoquer le rire, ou plutôt la terreur. « Détendez-vous mais n’espérez pas trop de ce moment », prévient en substance Schweizer, plus « obsolète » (sic) que jamais, dans cette perpétuelle distanciation qui fait sa marque de fabrique, la posture provoquant selon les cas la perplexité (qu’est-ce qu’il fait, là ?) ou la réflexion (qu’est-ce qu’on fait là ?).
Barbelé végétal
Pour éviter de s’abîmer dans la mise en abyme, on est aidés d’abord par la danse au sol de Mathieu Desseigne-Ravel, dont les états de corps contraints, étrangement difformes, sont en résonance avec le thème fort de « Nice Trip » : l’ingéniosité de l’homme pour tresser des barbelés et déchirer les chairs, au nom de la sécurité et de la propriété – le dernier cri en la matière étant le barbelé végétal, nouvelle étape du greenwashing sécuritaire.
Un autre vent de fraîcheur arrive avec un troisième venu (Abel Secco-Lumbroso), pré-ado qui bouscule les deux pros sur le plateau – le recours à la jeunesse réputée brute, pas encore bridée, est une autre constante du travail de La Coma de Michel Schweizer. Bref, « Nice
Trip », petit voyage dans le monde d’aujourd’hui, permet de faire passer pas mal d’humour noir, un peu de poésie et même d’empathie : malgré tous ses efforts, Schweizer échoue encore à décevoir.
Serge Latapy